Sur les hauteurs de Villeneuve-lès-Avignon, les garrigues des Bouscatiers ont été sauvées grâce à des années de mobilisation citoyenne, associative et politique. Mais à lire la revue municipale, on découvre que l’histoire a pris un tout autre chemin.
Un collectif très engagé dans la vie locale nous a informé de sa vive surprise à la lecture du dernier numéro de la revue municipale Villeneuve Mag. L’article en question, intitulé « La nature préservée aux Bouscatiers », affirme que la municipalité se serait engagée à sanctuariser cette zone de garrigue. Il présente cette décision comme une initiative volontariste de protection de l’environnement, relevant d’une vision réfléchie et maîtrisée de l’urbanisme local.
Mais à bien y regarder, le récit proposé dans ces lignes heurte frontalement la mémoire des faits, tels qu’ils ont été vécus par de nombreux habitants, associations, élus d’opposition et collectifs mobilisés pendant des années.
Souhaitant comprendre ce décalage, nous avons pris contact avec ce collectif, puis échangé avec quelques élus, afin de mieux cerner ce qui relève de l’engagement sincère… et ce qui relève d’une réécriture de l’histoire.
Ce qui en ressort, c’est une vérité inversée : ceux qui ont résisté sont effacés, et ceux qui ont longtemps soutenu le projet apparaissent en sauveurs. Une opération de recyclage politique d’un abandon forcé, transformé en geste visionnaire.
Une chronologie que l’on ne peut balayer
Le projet de ZAC des Bouscatiers, imaginé dès le début des années 2000, visait à urbaniser environ 36 hectares de garrigue au nord du territoire communal. Il prévoyait la construction de plus de 500 logements, ainsi que des équipements publics et des voies nouvelles. Ce projet, porté à l’origine par la commune, s’inscrivait dans une logique d’extension urbaine qui a longtemps été présentée comme inévitable.
Pendant près de deux décennies, ce projet a été soutenu par les majorités municipales successives, parfois légèrement amendé, mais jamais abandonné, malgré les alertes sur son impact environnemental, paysager et social.
C’est précisément contre cette vision que s’est constitué un large front d’opposition, composé :
- de collectifs citoyens tels que Cosagavi, Écocitoyen, ou APEPA, qui ont mené un travail de fond : sensibilisation, réunions publiques, contre-expertises, marches et interventions lors des enquêtes publiques ;
- de nombreux habitants mobilisés au fil des années, souvent non militants mais profondément attachés à la garrigue et à leur cadre de vie ;
- et de plusieurs élus de l’opposition municipale, qui ont pris position publiquement contre le projet, relayé les arguments citoyens au sein des conseils municipaux, et, pour certains, rejoint les démarches juridiques engagées pour stopper la ZAC.
En 2015, une dérogation préfectorale autorisant la destruction d’habitats d’espèces protégées avait été délivrée. C’est précisément cette autorisation qui sera attaquée quelques années plus tard devant le tribunal administratif de Nîmes, sur la base d’un recours porté conjointement par les associations environnementales et des élus engagés, faisant valoir les carences de l’étude d’impact et l’insuffisance des mesures compensatoires.
Ce recours aboutit en 2020 : le juge annule l’arrêté préfectoral, estimant que le projet porte atteinte de manière disproportionnée à l’environnement et que les justifications économiques avancées ne suffisent pas à compenser la perte écologique. Cette victoire juridique majeure constitue un tournant.
Ce n’est qu’après cette décision de justice que la commune rompt officiellement son partenariat avec le promoteur Nexity, en 2021, et évoque pour la première fois l’abandon du projet.
La fabrique tranquille du faux souvenir
Dans ce contexte, l’article de Villeneuve Demain donne l’impression d’un retournement habilement maquillé en constance politique. Il efface les citoyens qui se sont engagés, ceux qui ont pris des risques, les collectifs, les habitants inquiets, l’opposition. Il minimise les critiques, ignore les victoires juridiques obtenues de haute lutte, et reformule l’abandon d’un projet contesté comme un choix volontaire de préservation environnementale. A en croire les lignes, la majorité a gagné une guerre qu’elle aurait menée contre elle-même.
En d’autres termes, la municipalité revendique aujourd’hui le mérite d’avoir abandonné ce qu’elle a défendu pendant des années. Ce tour de passe-passe narratif s’apparente à une manipulation douce, mais bien réelle, de l’information.
Dire « Merci » serait un bon début
Personne ne conteste qu’il soit possible – et même souhaitable – qu’une collectivité évolue dans ses positions. Mais encore faut-il le dire honnêtement : ce n’est pas la mairie qui a sauvé les Bouscatiers, ce sont les citoyens, les collectifs, les habitants et les élus engagés. Ce sont eux, tous ensemble, qui ont informé, débattu, contesté, alerté, proposé, et parfois même investi leur propre argent pour défendre un bien commun. Le juste retour à été la victoire, leur victoire.
Dès lors, voir leur engagement invisibilisé au profit d’un récit officiel lissé et auto-satisfait ne peut que susciter une colère froide, celle de ceux à qui l’on vole le fruit de leur combat pour en faire une vitrine de communication.
Une municipalité digne de ce nom pourrait au moins dire : « Nous avons changé d’avis, grâce à l’engagement des habitants. » Ce serait un signe de respect, une preuve de maturité politique, et une manière saine de réconcilier action publique et parole citoyenne.
En attendant, il appartient à tous ceux qui se sont battus pour préserver les garrigues des Bouscatiers de rappeler ce que fut la réalité – pour que l’avenir, lui, ne soit pas réécrit au passé.