Nous avons appris qu’à la demande d’une famille villeneuvoise, un carrefour de notre ville, qui portait depuis son inauguration le 16 novembre 2024 le nom du résistant Vigan-Braquet, a été débaptisé pour prendre celui d’un aïeul fondateur d’un commerce important à Villeneuve. Si la demande de cette famille est compréhensible et empreinte d’une histoire personnelle forte, la décision de lui donner suite interroge sérieusement.
Car ce choix, loin d’être anodin, est porteur d’un message symbolique lourd : il efface une page essentielle de notre histoire locale, celle de la Résistance, du courage, et du combat pour la liberté. Il ne s’agit pas seulement de changer un nom sur une plaque. Il s’agit d’une réécriture silencieuse, mais réelle, de notre mémoire collective.
Remplacer le nom d’un résistant – un homme qui a risqué sa vie pour libérer notre territoire – par celui d’une famille commerçante, aussi respectable soit-elle, n’est pas un simple acte administratif. C’est une décision politique qui mérite débat. Et surtout, c’est un geste qui, en l’absence de discussion publique, heurte le devoir de mémoire auquel nous sommes tous, collectivement, attachés.
Est-ce à nous de rappeler que les noms donnés à nos rues et carrefours ne sont pas de simples repères géographiques ? Ce sont des marqueurs symboliques, des balises dans notre quotidien, qui nous rappellent d’où nous venons, ce que nous avons traversé, ce que nous devons transmettre. Les retirer, les remplacer, sans en mesurer les conséquences, c’est tourner le dos à notre héritage. C’est participer, consciemment ou non, à l’effacement.
À une époque où l’actualité mondiale nous confronte à la brutalité des conflits, où la mémoire de la Seconde Guerre mondiale s’estompe avec la disparition progressive de ses derniers témoins, il est plus que jamais nécessaire de préserver les traces de ce passé. Rappeler l’histoire n’est pas un acte nostalgique, c’est un acte citoyen.
Ce n’est pas une opposition partisane qui nous pousse à réagir, mais une conviction profonde : celle que les noms des résistants, ces femmes et ces hommes qui ont parfois donné leur vie pour que nous soyons libres, doivent rester présents dans notre espace public. Ils sont les fondations invisibles mais essentielles de notre démocratie.
Nous ne remettons pas en cause la légitimité de célébrer la mémoire de celles et ceux qui ont, par leur travail, leur engagement ou leur rôle local, marqué notre ville. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de figures historiques comme Vigan-Braquet. Il existe d’autres moyens, d’autres lieux, d’autres propositions – comme celle faite de sanctuariser un quartier aux noms encore vierges de mémoire – pour honorer chacun avec respect.